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VITTORE CARPACCIO.
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Des documents fragmentaires, d’une précision froide et dont l’unique mérite était l’exactitude, se trouvaient entre ses mains : son génie vénitien leur a insufflé la vie ; il les a colorés, dorés de lumière et il a ressuscité un monde complet épanoui dans son atmosphère.

La Vie de la Vierge serait un mauvais exemple de cette supériorité. Il semble que le génie de Carpaccio y ait sommeillé. Des différents épisodes qu’elle présente (Naissance de la Vierge à Bergame, Présentation au temple et Miracle des Baguettes à Milan, L’Annonciation à Vienne, la Visitation au musée Correr, la Mort de la Vierge au musée de Vienne), aucun n’est pleinement heureux. Des détails seuls — il en est de charmants — nous en affirment l’authenticité : tel cet enfant à la gazelle si joliment profilé dans la Présentation devant un bas-relief antique.

Ce cycle médiocre n’est pas, cependant, sans présenter des particularités piquantes. Carpaccio s’y révèle hébraïsant. Aux murs de la chambre de sainte Anne il accroche une pancarte on se lit, fort correctement transcrite, une formule rituelle de bénédiction aux accouchées. Carpaccio fréquentait-il les coreligionnaires de Shylock, libres à Venise, mais que la République allait bientôt, en 1516, confiner dans un ghetto ?

Par ailleurs, dans la Visitation, l’artiste précède, sans s’en douter, certes, et sans parti pris théorique, les préraphaélites et James Tissot, et entoure la Vierge et sainte Anne du cadre oriental (personnages, fabriques, animaux) le plus pur qu’il puisse imaginer. Hardiesse sans conséquence puisque inconsciente et qui passa inaperçue.