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Puis je me plain d'un portrait inutile
Ombre du vrai que je suis adorant,
Et de ces yeus qui me vont devorant
Le cœur brulé d'une flame gentile.

Mais parsus tout je me plain d'un penser,
Qui trop souvent dans mon cœur fait passer
Le souvenir d'une beauté cruelle.

Et d'un regret qui me pallit si blanc,
Que je n'ai plus en mes veines de sang
Aux nerfs de force, en mes os de mouëlle.


MURET.

Las je me plain.) Il se plaint des soupirs qu’il gette, & des pleurs qu’il repand, sans qu'ils lui servent de rien. Il se pleint d'un portrait de sa dame, fait par Nicolas Denisot, duquel j’ai parlé ci dessus, lequel portrait ne peut donner suffisante allégeance a ses maus. Il se plaint des yeus, qui lui devorent, & enflament le cœur: d’un penser, qui perpetuellement lui represente sa dame: & d’un regret qu'il a de se voir ainsi captif, lequel regret le fait envieillir devant ses jours, lui aiant ja consumé les principaus soutenemens de sa vie.


Puisse avenir, qu’une fois je me vange
De ce penser, qui devore mon coeur,
Et qui toujours, comme un lion veinqueur,
Sous soi l’etrangle, & sans pitié le mange.

Avec le tans, le tans mesme se change:
Mais ce cruel qui suçe ma vigueur,
Opiniatre au cours de sa rigueur,
En autre lieu qu’en mon coeur ne se range.

Bien est il vrai, qu’il contraint un petit,