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Que ferai-ie chetif, prirai-ie, ou ſi ie doy
Moimeſme eſtre prié, ie porte auecque moy,
Et l’amy de l’aimé, & ne ſçaurois tant faire
Las ! que de l’un des deus ie me puiſſe défaire.

Mais ſerai-ie touſiours couché de ſur le bord
Comme un froid ſimulacre, en attendant la mort !
Ô bienheureuse mort haſte toi ie te prie,
Et me tranche d’un coup & l’amour & la vie,
Afin qu’auecques moi je voye außi perir
(Si c’est quelque plaiſir) ce qui me fait mourir.

Il auoit acheué, quand du front goute a goute
Vne lente ſueur aus talons lui degoute,
Et ſe consume ainſi que fait la cire au feu ,
Ou la nege de Mars, laquelle peu a peu
S’écoule ſur les monts de Thrace ou d’Arcadie
Des raïons incertains du soleil atiedie :
Si bien que de Narßis qui fut iadis ſi beau,
Qui plus que laict caillé auoit blanche la peau,
Qui de front, d’yeus, de bouche, & de tout le viſage,
Reſſembloit le portrait d’une Adonine image,
Ne resta rien, ſinon une petite fleur
Qui d’un iaune ſafran emprunta la couleur,
Laquelle n’oubliant ſa naiſſance premiere
Hante encor aujourdui la riue fonteiniere,
Et touſiours aparoiſt pres des eaus, au printans :
Mais non plus que ſon maistre, en ſa fleur vit lõgtans.

I’ai chanté, Charbonnier, deſſus les bors de Seine
En ton lôs, ce Narßis, ſon ombre, & ſa fonteine,
Comme pour l’auant-ieu de plus haute chanſon
Que deſia ie t’apreste, & a ton d’Auanſon,