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Quiconques ſoye enfant, ſors de l’eau ie te prie,
Quel plaisir y prans-tu, ici l’herbe est fleurie,
Ici la torte vigne à l’orme s’aſſemblant
De tous couſtés épand vn ombrage tramblant,
Ici le verd lierre, & la tendrette mousse,
Font la riue ſembler plus que le ſommeil, douce.

A peine auoit il dit, quand un pleur redoublé
Qui coula dedans l’eau, ſon plaiſir à troublé,
Où fuis-tu, diſoit il, celui qui te ſuplie,
Ni ſa ieune beauté n’est digne qu’on le fuye,
Las ! demeure, ou fuis-tu, les Ninfes de ces bois
Ne m’ont point dedaigné, ni celle qui la vois
Fait retentir és monts d’une complainte lente,
Et ſi n’ont point ioüy du fruit de leur atente.

Car moy lors ſans amour, d’elles n’eſtois epoint,
Pour aimer maintenant ce qui ne m’aime point.
Las ! tu me nourriſſois tantost d’une esperance,
Car dans l’eau tu tenois la meſme contenance
Que ie tenois au bord, ſi mes bras ie plyois,
Tu me plyois les tiens, moy riant tu riois,
Et autant que mon œil de pleurs faiſoit éspandre,
Le tien d’autre couſté autant m’en venoit rendre.

Si ie faiſois du chef un clin tant ſeulement,
Vn autre clin ton chef faiſoit également,
Et s’en parlant i’ouurois ma bouchette vermeille,
Tu parlois, mais ta vois ne frapoit mon oreille.
Ie connois maintenant l’effet de mon erreur,
Ie ſuis meſme celui qui me mets en fureur,
Ie ſuis meſmes celui, celui meſmes que i’aime,
Rien ie ne voi dans l’eau que l’ombre de moimeſme :