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En vain comme tu fais, vne idole fuyarde :
Ce que tu quiers n’eſt point, ſi tu verſes parmi
L’onde, un pleur ſeulement, tu perdras ton ami,
Il n’a rien propre a ſoi, ſeul tu as aportée
L’image que dans l’eau tu vois repreſentée,
Et la remporteras auecques toi außi,
Si tu peus ſans mourir t’en retourner d’ici.

Ni fain, ni froid, ni chaud, ni de dormir l’enuie,
Ne peurent retirer ſa miſerable vie
Hors de l’eau mentereſſe, ains couché sur le bord
Ne fait que ſouspirer ſous les trais de la mort,
Ne ſans tourner ailleurs ſa ſimple fantaſie
De trop ſe regarder ſes yeus ne reſſaſie,
Et par eus ſe conſume : A la fin s’eſleuant
Vn petit hors de l’eau, tend ſes bras en auant
Aus foreſts d’alentour, & plein de pitié grande
D’une voix caſſe et lente, en pleurant leur demãde :
Qui, dictes moi forests, fut onques amoureus
Si miserablement que moi ſot malheureus ?
E’ vites-vous iamais bien que ſoiés agées
D’une infinité d’ans, amours ſi enragées.
Vous le ſçaués foreſts, car mainte, & mainte fois
Vous aués recelé les amans ſoubs vos bois.

Ce que ie voi me plaist, & ſi ie n’ai puiſſance
Tant ie ſuis desaſtré d’en auoir iouiſſance,
Ni tant ſoit peu baiſer la bouche que je voi,
Qui ſe ſemble me baise, & n’aproche de moi.
Mais ce qui plus me deust, c’est qu’une dure porte,
Qu’un roc, ne qu’un chemin, qu’une muraille forte
Ne nous ſepare point, ſeulement un peu d’eau
Me garde de iouir d’un viſage ſi beau.