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Morfée, ſ’il te plaiſt de me repreſenter
Cette nuit ma Caſſandre außi belle & gentille
Que ie la vi le ſoir quand ſa uiue ſcintile
Par ne ſçai quel regard, uint mes sens enchanter.

Et s’il te plaiſt encor tant ſoit peu d’alenter:
(Miſerable ſouhet!) de ſa feinte inutile,
Le feu qu’amour me vient de ſon aile ſutile
Tout alentour du cœur, ſans repos, euenter.

Sur le haut de mon lit en vœu ie t’apendrai
Deuot, un ſaint tableau, ſur lequel ie peindrai,
L’heur que i’aurai receu de ta forme douteuſe,

Et comme Iupiter à Troye fut deceu
Du Somme & de Iunon, apres auoir receu
De la ſimple Venus la ceinture amoureuſe.


Ecumiere Venus, roine en Cypre puiſſante,
Mere des dous amours, à qui touſiours ſe ioint
Le plaiſir, & le jeu, qui tout animal point
À touſiours reparer ſa race periſſante.

Sans toi Ninfe-aime-ris la vie est languiſſante,
Sans toi rien n’eſt de beau, de vaillant ni de coint,
Sans toi la Volupté ioïeuſe ne vient point,
Et des Graces, ſans toi, la grace est deſplaiſante.

Ores qu’en ce printans on ne ſçauroit rien voir,
Qui fiché dans le cœur ne ſente ton pouuoir,
Sans plus une pucelle en ſera elle exente ?

Si tu ne veus du tout la traiter de rigueur,
Aumoins que ſa froideur en ce mois d’Auril, ſente
Quelque peu du braſier qui m’enflame le cœur.