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Bien que ton œil me face vne dure ecarmouche,
Moi restant le veincu, & lui touiours veinqueur,
Bien que depuis ſet ans ſa cruelle rigueur
Me tienne prisonnier de ta beauté farouche.

Si eſt ce que iamais (veu la foi qui me touche)
Ie ne veus echaper de ſi douce langueur,
Ne viure ſans auoir ton image en mon cœur,
Tes maīs dedãs ma plaie, et ton nõ en ma bouche.

Si tu veus me tuer tu’ moi ie le veus bien,
Ma mort te ſera perte, a moi vn treſgrand bien
Et lœuure qu’à ton lôs ie veus mettre en lumiere

Finera par ma mort, finiſſant mon emoi:
Ainſi, mort ie ſerai libre de peine, & toi
Cruelle, de ton nom tu ſeras la meurtriere.


Que ne ſuis ie inſenſible? ou que n’est mon viſage
De rides labouré? ou que ne pui-ie espendre
Sans trepaſſer, le ſang qui chaut ſubtil & tendre
Bouillonnãt dans mon cœur me trouble le courage?

Ou bien, en mon erreur que ne ſui-ie plus ſage?
Ou, pourquoi la raiſon qui me deuroit reprendre
Ne commande a ma chair, ſans paresseuſe, atêdre
Qu’un tel cõmandemêt me ſoit enioint par l’age?

Mais que pourroi-ie faire, & puisque ma maiſtreſſe,
Mes ſens, mes ans, amour, & ma raiſon traitreſſe
Ont iuré contre moi, las! quand mon chef ſeroit

De vieilleſſe außi blanc que la vieille Cumée,
Si est ce qu’en mon cœur le tans n’efaceroit
La douleur qui iamais ne ſera conſumée.