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Beauté dont la douceur pourroit vaincre les Rois
Mon cœur que vous tenés dans vos yeus en ſeruage
Helas, pour Dieu rendés le! ou me bailles en gage
Le vôtre, car ſans cœur viure ie ne pourrois.

Quand mort en vous ſeruãt ſans mon cœur ie ſerois
Plus que vous ne penſés ce vous ſeroit dommage,
De perdre un tel ami, a moi grand auantage,
Grãd hõneur, et plaiſir quãd pour vo’ie mourrois.

Ainſi nous ne pouuons encourir de ma mort
Vous, madame, qu’un blâme et moi qu’un recõfort
Pourueu que mon treſpas vous plaiſe en quelque choſe:

Et veus que ſur ma lame amour aille ecriuant,
Celui qui git ici ſans cœur estoit viuant,
Et trespaſſa ſans cœur, & ſans cœur il repoſe.


Amour qui ſi long tans en peine m’as tenu,
S’il te plaiſt d’amolir la fierte de la belle
Qui ſe montre en ma place à grãd tort ſi, cruelle,
Tant que par ton moyen mon trauail ſoit connu.

Sur un terme doré ie te peindrai tout nu,
En l’air vn pié leué; a chaque flanc vne aelle,
L’arc courbé dãs la main, le carquois ſous l’eſſelle,
Le cors gras & douillet, le poil crespe & menu.

Tu ſais, Amour, combien mon cœur ſoufre de peine:
Mais las! plus hûble il est plus d’audace elle eſt pleine
Et m’espriſe tes dards, comme ſi tout ſon cœur

Eſtoit enuironné de quelque roche dure:
Que d’un trait elle ſente a tout le moîs, Seigneur
Qu’un mortel ne doit point aus Dieus faire d’iniure.