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CONTINUA. DES AMOURS

Ce traistre, ce mechant; comment pouroi-je faire
Que mon esprit voulust loüer son adversaire,
Qui ne donne à sa peine un moment de sejour!
   Si m'avoit fait aumoins quelque petit bon tour,
Je l'en remercirois, mais il ne veut se plaire
Qu'à rengreger mon mal, et pour mieus me défaire
Me met devant les yeux ma Dame nuit et jour.
   Bien que Tantale soit miserable là-bas,
Je le passe en malheur; car si ne mange pas
Le fruit qui pend sur lui, toutesfois il le touche,
   Et le baise, et s'en joue: et moi, bien que je sois
Aupres de mon plaisir, seulement de la bouche
Ni des mains, tant soit peu, toucher ne l'oserois.

   Quiconque voudra suivre Amour ainsi que moi,
Celui se delibere en penible tristesse
Mourir ainsi que moi: il pleust à la Déesse
Qui tient Cypre en ses mains de faire telle loi.
   Apres mainte misere et maint fascheus émoi
Il lui faudra mourir, et sa fiere maitresse,
Le voiant au tombeau, sautera de liesse
Sus le corps de l'amant, mort pour garder sa foy.
   Allez-donq maintenant faire service aus Dames,
Offrez-leur pour present et voz corps et voz ames,
Vous en receverés un salaire bien dous.
   Je croi que Dieu les feit afin de nuire à l'homme: