Page:Ronsard - Continuation des Amours, 1555.pdf/31

Cette page n’a pas encore été corrigée
31
DE P. DE RONSARD.

Quelle preuve veus-tu afin de te ployer
A pitié, las! veus-tu que je m'aille noyer,
Ou que de ma main propre à mort je me deface?
   Es tu quelque Busire, ou Cacus inhumain,
Pour te souler ainsi du pauvre sang humain?
E, di, ne crains-tu point Nemesis la Déesse,
   Qui redemandera mon sang versé à tort?
E, di, ne crains-tu point la troupe vengeresse
Des Soeurs, qui puniront ton crime apres la mort?

   Veus-tu sçavoir, Brués, en quel estat je suis?
Je te le conterai: d'un pauvre miserable
Il n'i a nul estat, tant soit il pitoiable
Que je n'aille passant d'un seul de mes ennuis.
   Je tien tout, je n'ay rien, je veus, et si ne puis,
Je revy, je remeurs, ma plaie est incurable.
Qui veut servir Amour, ce tyran execrable,
Pour toute recompense il reçoit de tels fruis.
   Pleurs, larmes, et souspirs acompagnent ma vie,
Langueur, douleur, regrets, soupçon, et jalousie,
Avecques un penser qui ne me laisse avoir
   Un moment de repos: et plus je ne sens vivre
L'esperance en mon coeur, mais le seul desespoir
Qui me guide à la mort, et je le veus bien suivre.

   Ne me di plus, Imbert, que je chante d'Amour,