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CONTINUA. DES AMOURS

A soufrir de l'amour l'orage vehement:
   E, ne sçais-tu, Belleau, que deux ancres getées
Dans la mer, quand plus fort les eaus sont agitées,
Tiennent mieus une nef qu'une ancre seulement?

   Quand je serois un Turc, un Arabe, ou un Scythe,
Pauvre, captif, malade, et d'honneur devestu,
Laid, vieillard, impotent, encor' ne devrois tu
Estre, comme tu es, envers moi si dépite:
   Je suis bien asseuré que mon coeur ne merite
D'aimer en si bon lieu, mais ta seule vertu
Me force de ce faire, et plus je suis batu
De ta fiere rigueur, plus ta beauté m'incite.
   Si tu penses trouver un serviteur qui soit
Digne de ta beauté, ton penser te deçoit,
Car un Dieu (tant s'en faut un homme) n'en est digne.
   Si tu veus donq aimer, il faut baisser ton coeur:
Ne sçais-tu que Venus (bien qu'elle fust divine)
Jadis pour son ami choisit bien un pasteur?

   Dame, je ne vous puis ofrir à mon depart
Sinon mon pauvre coeur, prenés-le je vous prie:
Si vous ne le prenés, jamais une autre amie
(J'en jure par voz yeus) jamais n'y aura part.
   Je le sen déjà bien, comme joyeus il part
Hors de mon estomac, peu songneus de ma vie,