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Quant elle vit son mari retourné,
Ayant vingt ans loin d’elle séjourné.

  Après fais-lui sa rondelette oreille,
Petite, unie, entre blanche et vermeille,
Qui sous le voile apparaisse à l’égal
Que fait un lis enclos dans un cristal,
Ou tout aisin qu’apparaît une rose
Tout fraîchement dedans un verre enclose.

  Mais pour néant tu aurais fait si beau
Tout l’ornement de ton riche tableau,
Si tu n’avais de la linéature[1]
De son beau nez bien portrait la peinture.
Peins-le-moi donc ni court, ni aquilin,
Poli, traitis,[2] où l’envieux malin
Quand il voudrait n’y saurait que reprendre,
Tant proprement tu le feras descendre
Parmi la face, ainsi comme descend
Dans une plaine un petit mont qui pend.

  Après au vif peins-moi sa belle joue
Pareille au teint de la rose qui noue[3]
Dessus du lait, ou au teint blanchissant
Du lis qui baise on œillet rougissant.

  Dans le milieu portrais une fossette,
Fossette, non, mais d’Amour la cachette,
D’où ce garçon de sa petite main,
Lâche cent traits, et jamais un en vain,
Que par les yeux droit au cœur il ne touche.
Hélas ! Janet, pour bien peindre sa bouche,
A peine Homère en ses vers te dirait

  1. Linéature : ligne.
  2. Traitis : doux, attrayant
  3. Noue : nage (pag.44, sonn. XXV)