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  Tout au milieu par la grève descende
Un beau rubis, de qui l’éclat s’épande
Par le tableau, ainsi qu’on voit de nuit
Briller les rais de la lune, qui luit
Dessus la neige au fond d’un val coulée,
De trace d’homme encore non foulée.


  Après fais-lui son beau sourcil voutis[1]
D’ébène noir, et que son pli trotis[2]
Semble un croissant, qui monte par la nue
Au premier mois sa vouture cornue :
Ou si jamais tu as vu l’arc d’Amour,
Prends le portrait dessus le demi-tour
De sa courbure à demi-cercle close :
Car l’arc d’Amour et lui n’est qu’une chose.


  Mais las ! Janet, hélas je ne sais pas
Par quel moyen, ni comment tu peindras
(Voire eusses-tu l’artifice d’Apelle)
De ses beaux yeux la grâce naturelle,
Qui font vergogne[3] aux étoiles des cieux.
Que l’un soit doux, l’autre soit furieux,
Que l’un de Mars, l’autre de Vénus tienne,
Que du benin toute espérance vienne,
Et du cruel vienne tout désespoir :
L’un soit piteux et larmoyant à voir,
Comme celui d’Ariane laissée
Aux bords de Die,[4] alorsque l’insensée
Près de la mer, de pleurs se consommait,
Et son Thésée en vain elle nommait :
L’autre soit gai, comme il est bien croyable
Que l’eut jadis Pénélope louable,

  1. Voutis : arrondi en voûte.
  2. Tortis : tordu en grec.
  3. Vergogne : honte.
  4. Die : Une des dénominations de l’île de Naxos, où Thésée abandonna son amante Ariane. Dia, la divine