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XLVI

ÉLÉGIE
À JANET, PEINTRE DU ROI


Peins-moi, Janet[1], peins-moi, je te supplie,
Sur ce tableau les beautés de m’amie
De la façon que je te les dirai.
Comme importun je ne te supplierai
D’un art menteur quelque faveur lui faire :
Il suffit bien si tu la sais portraire
Telle qu’elle est, sans vouloir déguiser
Son naturel pour la favoriser :
Car la faveur n’est bonne que pour celles
Qui se font peindre, et qui ne sont pas belles.

Fais-lui premier les cheveux ondelés,
Serrés, retors, recrépés, annelés,
Qui de couleur le cèdre représentent :
Ou les allonge, et que libres ils sentent
Dans le tableau, si par art tu le peux,
La même odeur de ses propres cheveux :
Car ses cheveux comme fleurettes sentent,
Quand les zéphyrs au printemps les éventent

Que son beau front ne soit entre-fendu
De nul sillon en profond étendu :
Mais qu’il soit tel qu’est l’eau de la marine[2],
Quand tant soit peu le vent ne la mutine,
Et que gisante en son lit elle dort.
Calmant ses flots sillés[3] d’un somme mort.

  1. Janet : peintre du roi Henri II.
  2. La marine : la mer.
  3. Sillez : apaisés, fermés, d’où le mot désillés.