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Jusqu’aux enfers l’orgueil précipiter.

Pource, orgueilleuse, échappe cet orage[1],
Dedans mes pleurs attrempe[2] ton courage,
Sois pitoyable, et guéris ma langueur.

Toujours le ciel, toujours l’eau n’est venteuse[3],
Toujours ne doit ta beauté dépiteuse[4]
Contre ma plaie endurcir sa rigueur[* 1].


  1. Echappe cet orage : évite cet orage
  2. Attrempe : amollis.
  3. Venteuse : agitée par les vents,
  4. Dépiteuse : orgueilleuse, sans pitié.



  1. Cet éloge des prières est tiré du IXe chant de l’Illiade. Phénix représente à Achille le pouvoir des prières.



XXXV.


Que toute chose en ce monde se mue[1],
Soit désormais Amour soulé de pleurs [2],
Des chênes durs puissent naître les fleurs,
Au choc des vents l’eau ne soit plus émue ;

Le miel d’un roc contre nature sue,
Soient du printemps semblables les couleurs.
L’été soit froid, l’hiver plein de chaleurs,
Pleine de vents ne s’enfle plus la nue :

Tout soit changé, puisque le nœud si fort
Qui m’étreignait, et que la seule mort
Devait trancher, elle a voulu défaire.

Pourquoi d’Amour méprises-tu la loi ?

  1. Se mue : se change.
  2. Soit désormais Amour soulé de pleurs : qu’Amour soit désormais rassasié de pleurs, chose contre nature. Nec lacrymis crudelis amor, ne gramina rivis, Nec cytiso saturantur apes, nec fronde cappela (Virg., Eglog., X, 29)