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LE PREMIER LIVRE


Oy[1] ton Ronsard qui sanglote et lamente,
Pâle de peur, pendu[2] sur la tourmente,
Croisant en vain ses mains devers les cieux,

En frêle nef, sans mât, voile ne rame,
Et loin du havre, où pour astre, ma dame
Me conduisait du phare de ses yeux.


  1. Oy : impératif du verbe ouïr : entends.
  2. pendu sur la tourmente : expression d’une pittoresque énergie. Suspendu par les flots en furie.




XIII[* 1].


Comme un chevreuil, quand le printemps détruit,
Du froid hiver la poignante gelée.
Pour mieux brouter la feuille emmiellée[1],
Hors de son bois avec l’aube s’enfuit :

Et seul, et sûr, loin de chiens et de bruit,
Or’ sur un mont, or’ dans une vallée,
Or’ près d’une onde à l’écart recelée,
Libre s’égaie où son pied le conduit :

De rets ni d’arc sa liberté n’a crainte,
Sinon alors que sa vie est atteinte
D’un trait sanglant, qui le tient en langueur.

Ainsi j’allais sans espoir de dommage,
Le jour qu’un œil, sur l’avril de mon âge,
Tira d’un coup mille traits en mon cœur.


  1. Emmiellée : le poète fait ce mot de quatre syllabes, quoiqu’il ne compte miel que pour une seule. V. Sonn. III


  1. Sonnet imité de Bembo.