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DES AMOURS

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Tu seras fait du vulgaire la fable,
Tu bâtiras sur l’incertain du sable,
Et vainement tu peindras dans les cieux[1].

Ainsi disait la nymphe qui m’affole,
Lorsque le ciel, témoin de sa parole,
D’un dextre éclair[2] fut présage à mes yeux.


  1. Les cieux : les airs.
  2. Dextre éclair : éclair qui sillonne le ciel du côtè droit, présage de malheur dans l’opinion des Latins.




VI.


Je voudrais bien richement jaunissant,
En pluie d’or[1] goutte à goutte descendre
Dans le giron de ma belle Cassandre,
Lorsqu’en ses yeux le somme va glissant ;

Puis je voudrais en taureau blanchissant[2]
Me transformer pour sur mon dos la prendre,
Quand en avril par l’herbe la plus tendre
Elle va, fleur, mille fleurs ravissant[3]

Je voudrais bien pour alléger ma peine,
Être un Narcisse, et elle une fontaine,
Pour m’y plonger une nuit à séjour[4] :

Et si voudrais que cete nuit encore
Fût éternelle, et que jamais l’aurore
Pour m’éveiller ne rallumât le jour[* 1]


  1. En pluie d’or : allusion à la fable
    de Danaé.
  2. En taureau blanchissant : allusion à l’enlèvement d’Europe par Jupiter, métamorphosé en taureau.
  3. Elle va, fleur, mille fleura ravissant. :
    Et rose, elle a vécut ce que vivent les roses.(Malherbe.)
  4. Une nuit à séjour :une nuit entière, à loisir


  1. Ce sonnet déguise avec une délicatesse infinie dans la forme la crudité gauloise de la pensée.