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Cette déesse en s’envolant de là,
Bien loin du ciel, à l’écart s’en alla
Voir la maison toute rance et moisie
Où croupissait la vieille Jalousie.

C’était un antre, à l’entour tapissé
D’un gros hallier d’épines hérissé ;
Jamais clarté n’y flambait allumée ;
Et toutefois ce n’était que fumée :
Elle était louche, et avait le regard
Parlant à vous, tournant d’une autre part :
Sa dent souillée, et son visage blême
Montraient assez qu’elle mangeait soi-même.
Rongeant son cœur de haine et de souci
D’elle s’approche, et lui a dit ainsi :

« Vieille, debout ! marche en Crète, et te hâte ;
Prends tes serpents, et de Clymène gâte,
Par ton poison, les veines et le cœur :
Dans l’estomac jette lui la rancueur.
Le désespoir, la fureur et la rage
Mêle son sang, et trouble son courage :
Tu le peux faire , et je veux qu’il soit fait. »
A-tant s’envole et laisse l’antre infait[1].

Quand Jalousie eut la parole ouïe
De la déesse, elle en fut réjouie ;
Puis, en frisant de serpents ses cheveux ,
£t s’appuyant d’un bâton épineux,
Alla trouver en Crète la pucelle,
Que le sommeil couvait dessous son aile,
Et dont le cœur, qui de deuil se fendait,
Entre-dormant nouvelles attendait.
Incontinent cette vieille maline

  1. Infait : infect.