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Et transformé son vieux corps en un beau,
Prenant la face et la voix et la taille
De Turnien (qui, depuis, la muraille
Bâtit de Tours et la ville fonda),
Lors de tels mots Francion aborda.

« Jusques à quand, sans espoir de louange,
Nous tiendras-tu dessus ce bord étrange,
Acagnardés[1] en paresseux séjour,
A boire , à rire, à démener l’amour ?
A perdre en vain nos jours par les bocages
Suivant les cerfs et les bêtes sauvages ?
Que ne fais-tu (sans le temps consommer)
Ce que t’a dit la Nymphe de la mer ?
Courtise Hyante, afin qu’elle te fasse
Voir ces grands rois qui viendront de ta race :
Puis donne voile , et sans plus t’allécher,
Va-t’en ailleurs ta fortune chercher. »

Ce Turnien avait la face belle,
Les yeux, le front, compagnon très-fidèle
De Francion, qu’à part il écoutait,
Et ses secrets en privé lui contait.
Il était fils de la Nymphe Aristine,
Qu’Hector avait sous sa mâle poitrine
Pressée au bord du fleuve Simoïs :
Ses chers parents en furent réjouis,
Enorgueillis de voir leur fille pleine
Du fruit issu d’un si grand capitaine.
Elle accoucha dessus le bord herbeux
Du fleuve même, eu regardant ses bœufs,
Qui, bien cornus paissaient sur le rivage :
D’un prince tel il avait son lignage.

  1. Acagnardés : acoquinés, captivés par la molesse, par les plaisirs.