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LE PREMIER LIVRE
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Me vienne lire, il voirra[1] ma douleur,
Dont ma déesse et mon dieu ne font compte,

Il connaîtra qu’amour est sans raison,
Un doux abus, une belle prison,
Un vain espoir, qui de vent nous vient paître :
 
Et connaîtra que l’homme se déçoit,
Quand plein d’erreur un aveugle[2] il reçoit
Pour sa conduite, un enfant pour son maître.


  1. Voirra : Verra.
  2. Un aveugle : L’Amour est représenté par les poëtes aveugle et enfant. Anacréon, passim.

II.

Le plus touffu d’un solitaire bois,
Le plus aigu d’une roche sauvage,
Le plus disert[1] d’un séparé rivage,
Et la frayeur des antres les plus cois,

Soulagent tant mes soupirs et ma voix,
Qu’au seul écart d’un plus secret ombrage
Je sens garir[2] cette amoureuse rage,
Qui me r’afole au plus verd de mes mois.

Là renversé dessus la terre dure,
Hors de mon sein je tire une peinture,
De tous mes maux le seul allégement :

Dont les beautés par Denisot[3] encloses,
Me font sentir mille métamorphoses
Tout en un coup d’un regard seulement.

  1. Disert : désert.
  2. Garir : guérir.
  3. Denisot. Nicolas Denisot, né au Mans en 1515, mort en 1554. L’homme entre les autres de singulières grâces, excellent en l’art de peinture. (Muret.)