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PRÉFACE


Des laboureurs actifs à nourrir leurs ménages[1],
Qui tournent les guérets pleins de ronces sauvages
Et d’herbes aux longs pieds, retardement des bœufs,
A faute d’artisans qui n’ont point devant eux
Défriché ni viré la campagne férue[2],
Qui maintenant revêche arrête leur charrue,
Luttant contre le soc d’herbes environné.
Mais quoi, prenons en gré ce qui nous est donné,
Achevons notre tâche , et croyons d’assurance
Que ces deux étrangers pourront loger en France,
Si la Parque me rit, réchauffant la froideur
Des hommes bien adroits à suivre mon ardeur,
Sans craindre des causeurs les langues venimeuses.
Pourvu que nous rendions nos provinces fameuses,
Non d’armes , mais d’écrits : car nous ne sommes pas
De nature inclinés à suivre les combats,
Mais le bal des neuf Sœurs, dont la verve nous baille
Plus d’ardeur qu’aux soldats de vaincre à la bataille.

Ils ne sont ulcérés sinon par le dehors,
Aux jambes et aux bras, et sur la peau du corps :
Nous au fond de l’esprit et au profond de l’âme ,
Tant l’aiguillon d’honneur vivement nous entame.
 
La Muse en telle part de son trait va poignant :
Et encore que le coup n’apparaisse saignant,
Si est-ce qu’il nous blesse, et nous rend fantastiques.
Chagrins , capricieux , hagards , mélancoliques ,
Vaisseaux dont Dieu se sert , soit pour prophétiser,
Ou soit pour enseigner, soit pour autoriser.
Vêtus d’habits grossiers, par paroles rurales.
Les arrêts de nature et les choses fatales.
Tels du vieil Apollon les ministres étaient,

  1. Ménages : enfants. Il est encore usité dans le Limousin et l’Auvergne
  2. Férue : frappée, labourée.