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XVII.


En vous donnant ce portrait mien,
Dame, je ne vous donne rien :
Car tout le bien qui était nôtre.
Amour dès le jour le fit vôtre
Que je reçus dedans le cœur
Votre nom et votre rigueur;
Puis la chose est bien raisonnable,
Que la peinture ressemblable
Au corps, qui languit en souci
Pour votre amour, soit vôtre aussi.


Mais voyez comme elle me semble,
Pensive, triste et pâle ensemble,
Portraite de même couleur
Qu'Amour a portrait son seigneur !
Que plût à Dieu que la nature
M'eût fait au cœur une ouverture,
Afin que vous eussiez pouvoir
De me connaître et de me voir !
Las ! ce n'est rien de voir, maîtresse,
La face qui est tromperesse,
Et le front bien souvent moqueur :
C'est le tout que de voir le cœur.
Vous verriez du mien la constance,
La foi, l'amour, l'obéissance :
Et les voyant peut-être aussi
Qu'auriez de lui quelque merci,
Et des angoisses qu'il endure :
Voire quand vous seriez plus dure
Que les rochers Caucaséens,
Où les naufrages Ëgéens1,
Qui sourds n'entendent les prières
Des pauvres barques marinières,


1 Les écueils de la mer Egée, où se brisent les navires.