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LES AMOURS DIVERSES.

Ne voit rien de pareil sous la voûte des cieux,
Attendant qu’Apollon m’échauffe le courage
De chanter tes jardins, ton clos et ton bocage,
Ton bel air, ta rivière et les champs d’alentour,
Qui sont toute l’année échauffés d’un beau jour,
Ta forêt d’orangers, dont la perruque verte
De cheveux éternels en tout temps est couverte,
Et toujours son fruit d’or de ses feuilles défend,
Comme une mère fait de ses bras son enfant.

Prends ce livre pour gage, et lui fais, je te prie,
Ouvrir en ma faveur ta belle librairie[1],
Où logent sans parler tant d’hôtes étrangers,
Car il sent aussi bon que font tes orangers.


II.


 
Amour, tu me fis voir pour trois grandes merveilles
Trois sœurs allant au soir se promener sur l’eau,
Qui croissent à l’envi, ainsi qu’au renouveau[2]
Croissent en l’oranger trois oranges pareilles.

Toutes les trois avaient trois beautés non pareilles
Mais la plus jeune avait le visage plus beau,
Et semblait une fleur voisine d’un ruisseau,
Qui mire dans ses eaux ses richesses vermeilles.

Ores je souhaitais la plus vieille en mes vœux,
Et ores la moyenne, et ores toutes deux ;
Mais toujours la plus jeune était en ma pensée ;

Et priais le soleil de n’emmener le jour,
Car ma vue en trois ans n’eût pas été lassée
De voir ces trois soleils qui m’enflammaient d’amour.

  1. Librairie : bibliothèque.
  2. Renouveau : printemps.