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POUR HÉLÈNE, LIV. II.

En qui Dieu nous écrit en notes non obscures
Les sorts et les destins de toutes créatures.
Car lui, en dédaignant (comme font les humains)
D’avoir encre et papier et plume entre les mains,
Par les astres du ciel, qui sont ses caractères,
Les choses nous prédit et bonnes et contraires ;
Mais les hommes chargés de terre et du trépas
Méprisent tel écrit, et ne le lisent pas.

Or, le plus de mon bien pour décevoir ma peine,
C’est de boire à longs traits les eaux de la fontaine[1]
Qui de votre beau nom se brave[2], et en courant
Par les prés vos honneurs va toujours murmurant,
Et la reine se dit des eaux de la contrée :
« Tant vaut le gentil soin d’une muse sacrée,
« Qui peut vaincre la mort et les sorts inconstants,
« Sinon pour tout jamais, au moins pour un long temps. »
Là, couché dessus l’herbe, en mes discours je pense
Que pour aimer beaucoup j’ai peu de récompense,
Et que mettre son cœur aux dames si avant,
C’est vouloir peindre en l’onde et arrêter le vent ;
M’assurant toutefois qu’alors que le vieil âge
Aura comme un sorcier changé votre visage,
Et lorsque vos cheveux deviendront argentés,
Et que vos yeux d’Amour ne seront plus hantés,
Que toujours vous aurez, si quelque soin vous touche,
En l’esprit mes écrits, mon nom en votre bouche.

Maintenant que voici l’an septième venir,
Ne pensez plus, Hélène, en vos lacs me tenir :
La raison m’en délivre, et votre rigueur dure ;
Puis il faut que mon âge obéisse à nature.

  1. Allusion à une fontaine consacrée par le poète à Hélène, par fiction poétique.
  2. Se brave : s’enorgueillit.