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SONNETS

Le corps ne languirait d’un amoureux souci,
Si l’âme, si l’esprit ne le voulaient ainsi.
Mais du premier assaut l’âme est tout éperdue,

Conseillant comme reine au corps d’en faire autant.
Ainsi le citoyen, sans soldats combattant,
Se rend aux ennemis, quand la ville est perdue.


XV[1].


Il ne faut s’ébahir, disaient ces bons vieillards
Dessus le mur Troyen, voyant passer Hélène,
Si pour telle beauté nous souffrons tant de peine :
Notre mal ne vaut pas un seul de ses regards ;

Toutefois il vaut mieux, pour n’irriter point Mars,
La rendre à son époux, afin qu’il la remmène,
Que voir de tant de sang notre campagne pleine,
Notre havre[2] gagné, l’assaut à nos remparts.

Pères, il ne fallait, à qui la force tremble,
Par un mauvais conseil les jeunes retarder :
Mais et jeunes et vieux vous deviez tous ensemble

Pour elle corps et biens et ville hasarder.
Ménélas fut bien sage, et Pâris, ce me semble :
L’un de la demander, l’autre de la garder[3].


XVI.


Cette fleur de vertu, pour qui cent mille larmes
Je verse nuit et jour sans m’en pouvoir soûler,
Peut bien sa destinée à ce Grec égaler,

  1. L’idée de ce sonnet est prise d’Homère, Iliad., III, v. 159.
  2. Havre : port.
  3. Le trait est traduit de Properce.