Page:Ronsard - Choix de poésies, édition 1862, tome 1.djvu/150

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
136
SONNETS
II.


Quand je pense à ce jour où, près d’une fontaine,
Dans le jardin royal[1], ravi de ta douceur,
Amour te découvrit les secrets de mon cœur,
Et de combien de maux j’avais mon âme pleine :

Je me pâme de joie, et sens de veine en veine
Couler ce souvenir, qui me donne vigueur,
M’aiguise le penser, me chasse la langueur,
Pour espérer un jour une fin à ma peine.

Mes sens de toutes parts se trouvèrent contents,
Mes yeux en regardant la fleur de ton printemps,
L’oreille en t’écoutant : et sans cette compagne

Qui toujours nos propos tranchait par le milieu,
D’aise au ciel je volais, et me faisais un dieu :
Mais toujours le plaisir de douleur s’accompagne.


III.


A l’aller, au parler, au flamber de tes yeux,
Je sens bien, je vois bien, que tu es immortelle :
La race des humains en essence n’est telle ;
Tu es quelque démon ou quelque ange des cieux.

Dieu, pour favoriser ce monde vicieux,
Te fit tomber en terre, et là dessus la belle
Et plus parfaite idée inventa le modèle[2]
De ton corps, dont il fut lui-mêmes envieux.

Quand il fit ton esprit, il se pilla soi-même,

  1. Les Tuileries.
  2. Souvenirs des doctrines de Platon.