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Leur langue à Jupiter accusa Promethée
De la flame du feu qu’il luy avoit ostée :
Et adonques ce Dieu pour les recompenser
De tel accusement, ne peut jamais penser
Plus grand don que la Mort, et leur en fist largesse
Pour un divin present, comme d’une Déesse.
Aussi grands que la terre il luy fist les deux bras
Armez d’une grand faulx, et les pieds par à-bas
Luy calfeutra de laine, à fin qu’ame vivante
Ne peust ouyr le bruit de sa trace suivante.
Il ne luy fist point d’yeux, d’oreilles, ny de cœur,
Pour n’estre pitoyable en voyant la langueur
Des hommes, et pour estre à leur triste priere
Tousjours sourde, arrogante, inexorable et fiere :
Pource elle est toute seule entre les immortels,
Qui ne veut point avoir de temples ni d’autels,
Et qui ne se flechist d’oraison, n’y d’offrande.
Par expres mandement le grand Dieu luy commande
Tuer premier les bons, et de les envoyer
Incontinent au Ciel, pour le digne loyer
De n’avoir point commis encontre luy d’offense :
Puis à la race humaine il fist une defense
De jamais n’outrager les hommes endormis,
Soit de nuit, soit de jour, fussent leurs ennemis,
D’autant que le Sommeil est le frere de celle
Qui l’ame reconduit à la vie eternelle,
Où plus elle n’endure, avec son Dieu là-haut
Ny peine ny soucy, ny froidure ny chaut,
Procez ny maladie : ains de tout mal exempte
De siecle en siecle vit bien heureuse et contente
Aupres de son facteur, non-plus se renfermant
En quelque corps nouveau, ou bien se transformant
En estoile, ou vagant par l’air dans les nuages,
Ou voletant çà-bas dans les deserts sauvages
(Comme beaucoup ont creu) mais en toute saison
Demourant dans le Ciel son antique maison,
Pour contempler de Dieu l’eternelle puissance,
Les Daimons, les Herôs, et l’angelique essence,