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Et les eaux de Tantal’, et le roc de Sisyphe,
Et des cruelles Sœurs l’abominable griffe,
Et tout cela qu’ont feint les Poetes là bas
Nous attendre aux Enfers apres nostre trespas.
Quiconque dis cecy, pour-Dieu qu’il te souvienne
Que ton ame n’est pas Payenne, mais Chrestienne,
Et que nostre grand Maistre en la Croix estendu
Et mourant, de la Mort l’aiguillon a perdu,
Et d’elle maintenant n’a fait qu’un beau passage
A retourner au Ciel, pour nous donner courage
De porter nostre croix, fardeau leger et doux,
Et de mourir pour luy, comme il est mort pour nous,
Sans craindre, comme enfans, la nacelle infernale,
Le rocher d’Ixion, et les eaux de Tantale,
Et Charon, et le Chien Cerbere à trois abois,
Desquels le sang de Christ t’affranchit en la Croix,
Pourvu qu’en ton vivant tu lui vueilles complaire,
Faisant ses mandemens qui sont aisez à faire :
Car son joug est plaisant, gracieux et leger,
Qui le doz nous soulage en lieu de le charger.
» S’il y avoit au monde un estat de durée,
» Si quelque chose estoit en la terre assurée,
» Ce seroit*un plaisir de vivre longuement :
» Mais puisqu’on n’y voit rien qui ordinairement
» Ne se change et rechange, et d’inconstance abonde,
» Ce n’est pas grand plaisir que de vivre en ce monde ;
Nous le cognoissons bien, qui tousjours lamentons
Et pleurons aussi tost que du ventre sortons,
Comme presagians par naturel augure
De ce logis mondain la misere future.
Non pour autre raison les Thraces gemissoient
Pleurant piteusement quand les enfants naissoient :
Et quand la mort mettoit quelcun d’eux en la biere,
L’estimoient bien-heureux, comme franc de misere.
Jamais un seul plaisir en vivant nous n’avons ;
Quand nous sommes enfans, debiles nous vivons
Marchans à quatre pieds : et quand le second âge
Nous vient encottonner de barbe le visage,