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Et des coups de Paris plus ne se sent Achille,
Plus Hector ne sent rien, ny son frere Troïle.
C’est le tout que l’esprit qui sent apres la mort
Selon que le bon œuvre, ou le vice le mord :
C’est le tout que de l’ame, il faut avoir soin d’elle,
D’autant que Dieu l’a faite à jamais immortelle :
Il faut trembler de peur que par faicts vicieux
Nous ne la bannissions de sa maison, des cieux,
Pour endurer apres un exil tres-moleste,
Absente du regard de son Pere celeste :
Et ne faut de ce corps avoir si grand ennuy
Qui n’est que son valet, et son mortel estuy,
Brutal, impatient, de nature maline,
Et qui tousjours repugne à la raison divine.
Pource il nous faut garder de n’estre surmontez
Des traistres hameçons des fausses voluptez
Qui nous plaisent si peu qu’en moins d’un seul quart d’heure
Rien, fors le repentir, d’elles ne nous demeure.

Ne nous faisons donc pas de Circe les pourceaux,
De peur que les plaisirs et les delices faux
Ne nous gardent de voir d’Ithaque la fumée,
Du Ciel nostre demeure à l’ame accoustumée,
Où tous nous faut aller, non chargez du fardeau
D’orgueil, qui nous feroit perir nostre bateau
Ains que venir au port, mais chargez d’esperance,
Pauvreté, nudité, tourment et patience,
Comme estans vrais enfans et disciples de Christ,
Qui vivant nous bailla ce chemin par escrit,
Et marqua de son sang ceste voye tressainte,
Mourant tout le premier pour nous oster la crainte.
O que d’estre ja morts nous seroit un grand bien,
Si nous considerions que nous ne sommes rien
Qu’une terre animée, et qu’une vivante ombre,
Le sujet de douleur, de misere et d’encombre :
Voire, et que nous passons en misérables maux
Le reste (ô crève-coeur!) de tous les animaux.
Non pour autre raison Homère nous égale
A la feuille d'hiver qui des arbres dévale,