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Qu’il ne peut resister que soudain il ne meure.
Se moqueroit-on pas de quelque combatant,
Qui dans le camp entré s’iroit espouvantant
Ayant sans coup ruer le cœur plus froid que glace,
Voyant tant seulement de son haineux la face ?
Puis qu’il faut au marchant sur la mer voyager,
Est-ce pas le meilleur (sans hanter le danger)
Retourner tout soudain, et revoir son rivage ?
Puisqu’on est resolu d’accomplir un voyage,
Est-ce pas le meilleur de bien tost mettre fin
(Pour regaigner l’hostel) aux labeurs du chemin ?
De ce chemin mondain qui est dur et penible,
Espineux, raboteux, et fascheux au possible,
Maintenant large et long, et maintenant estroit,
Où celuy de la Mort est un chemin tout droit,
Si certain à tenir, que ceux qui ne voyent goute,
Sans forvoyer d’un pas n’en faillent point la route ?
Si les hommes pensoient à-par-eux quelquefois
Qu’il nous faut tous mourir, et que mesmes les Rois
Ne peuvent eviter de la Mort la puissance,
Ils prendroient en leurs cœurs un peu de patience.
Sommes nous plus divins qu’Achille ny qu’Ajax,
Qu’Alexandre, ou Cesar, qui ne se sceurent pas
Defendre du trespas, bien qu’ils eussent en guerre
Reduite sous leurs mains presque toute la terre ?
Beaucoup ne sachans point qu’ils sont enfans de Dieu,
Pleurent avant partir, et s’attristent au lieu
De chanter hautement le Pean de victoire,
Et pensent que la Mort soit quelque beste noire
Qui les viendra manger, et que dix mille vers
Rongeront de leurs corps les oz tous descouvers,
Et leur test, qui sera dans un lieu solitaire,
L’effroyable ornement d’un ombreux cimetaire :
Chetif, apres la mort le corps ne sent plus rien :
En vain tu es peureux, il ne sent mal ny bien
Non plus qu’il faisoit lors que le germe à ton pere
N’avoit enflé de toy le ventre de ta mere.
Telephe ne sent plus la playe qu’il receut
D’Achille, quand Bacchus en tombant le deceut :