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Dont les accords seront, peut estre, si tresdous,
Que les siecles voudront les redire apres nous :
Et suivant ce conseil, à nul des vieux antiques
Larron, je ne dévray mes chansons poetiques :
Car il me plaist pour toy, de faire icy ramer
Mes propres avirons dessus ma propre mer,
Et de voler au ciel par une voye estrange,
Te chantant de la Mort la non-dite louange.
C’est une grand Déesse, et qui merite bien
Mes vers, puisqu’elle fait aux hommes tant de bien.
Quand elle ne feroit que nous oster des peines,
Et hors de tant de maux dont noz vies sont pleines,
Sans nous rejoindre à Dieu nostre souv’rain Seigneur,
Encore elle nous lait trop de bien et d’honneur,
Et la devons nommer nostre mere amiable.
Où est l’homme çà-bas, s’il n’est bien miserable,
Et lourd d’entendement, qui ne veuille estre hors
De l’humaine prison de ce terrestre corps ?
Ainsi qu’un prisonnier qui jour et nuict endure
Les manicles aux mains, aux pieds la chesne dure,
Se doit bien resjouyr à l’heure qu’il se voit
Delivré de prison : Ainsi l’homme se doit
Resjouyr grandement, quand la mort lui deslie
Le lien qui serroit sa miserable vie,
» Pour vivre en liberté : car on ne sçauroit voir
» Rien çà-bas qui ne soit par naturel devoir
» Esclave de labeur : non seulement nous hommes
» Qui vrais enfans de peine et de misere sommes,
Mais le Soleil, la Lune et les Astres des Cieux
Font avecques travail leur tour laborieux :
La mer avec travail deux fois le jour chemine :
La terre, tout ainsi qu’une femme en gesine
(Qui pleine de douleur met au jour ses enfans)
Ses fruits avec travail nous produit tous les ans :
Ainsi Dieu l’a voulu, à fin que seul il vive
Afranchy du labeur, qui la race chetive
Des humains va rongeant de soucis langoureux.
Pource l’homme est bien sot, ainçois bien mal heureux
Qui a peur de mourir, et mesmement à l’heure