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Ta grene est toute ronde, et mon amour est ronde,
Constante en fermeté qui toute en elle abonde :
Ton escorce est bien dure, et dur aussi je suis
A supporter d’Amour la peine et les ennuis.
Tu parfumes les champs de ton odeur prochaine,
Et d’une bonne odeur m’amour est toute pleine :
Tu vis dedans les bois, solitaire, et je vy
Solitaire et tout seul, si je ne suis suivy
D’Amour qui m’accompagne, et jamais ne me laisse
Sans me representer nostre belle maistresse :
Nostre, car elle est mienne et tienne : puis je croy
Que tu languis pour elle aussi bien comme moy.
Ainsi je parle à l’arbre, et luy branlant la cyme
Fait semblant de m’entendre, et d’apprendre ma ryme,
Et la rechante aux vents, et se dit bien-heureux
D’estre honoré du nom dont je suis amoureux.
Voylà, chere maistresse, en quelle frenaisie
Amour m’a fait tomber, pour seule avoir choisie
Vostre jeune beauté, que l’imaginer sent
Au profond de l’esprit, bien qu’il en soit absent.
J’ay certes esprouvé par mainte experience
Que l’amour se renforce et s’augmente en l’absence,
Ou soit qu’en revassant, le plaisant souvenir
Ainsi que d’un apast la vienne entretenir,
Ou soit que les portraits des liesses passées
S’impriment dans l’esprit de nouveau ramassées.
Soit que l’ame ait regret au bien qu’elle a perdu,
Soit que le vuide corps plus plein se soit rendu,
Soit que la volupté soit trop tost perissable,
Soit que le souvenir d’elle soit plus durable :
Bref je ne sçay que c’est : mais certes je sçay bien
Que j’aime mieux absent qu’estant pres de mon bien.
Car quand il me souvient ou de ta belle face,
Ou de l’heure, ou du lieu, du temps, ou de la place
Qu’Amour si doucement me fist parler à toy,
D’un extreme plaisir je suis tout hors de moy.
Puis quand il me souvient de tes douces parolles,
De tes douces chansons desquelles tu m’affolles,
Me souvenant encor de tes honnestetez,