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Voyant pasmer en triste esmoy
En tes liens mon cœur et moy.
Mais en lieu d’un sacré Poëte,
Qui si haut chantoit ton honneur,
Tu as nouvelle amitié faite
Avecques un nouveau Seigneur,
Qui maintenant tout seul te tient,
Et plus de moy ne te souvient.
Hà vierge simple et sans malice,
Tu ne sçais encore que c’est
De faire aux grands Seigneurs service,
Qui en amour n’ont point d’arrest,
Et qui suivent sans loyautez
En un jour dix mille beautez.
Si tost qu’une proye ils ont prise,
Ils la desdaignent tout expres,
Afin qu’une autre soit conquise
Pour s’en mocquer bien tost apres,
Et n’ont jamais autre plaisir
Que de changer, et de choisir.
Celuy qui ores est ton maistre,
Et qui te tient comme veinqueur,
Te laissera demain, peut estre.
Hé, je le voudrois de bon cœur.
Si le ciel de nous a soucy,
Puisse arriver demain ainsi.
Le ciel qui les amans contemple,
Les meschans sçait bien rechercher :
Anaxarete en sert d’exemple,
Qui fut changée en un rocher,
Portant la semblable rigueur
Au rocher, qu’elle avoit au cœur.