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Qui, sans estre fardée, ou pleine de rigueur,
Traite fidelement de son amy le cœur ?
Dy leur, si de fortune une belle Cassandre
Vers moy se fust monstrée un peu courtoise et tendre,
Et pleine de pitié, eust cherché de guarir
Le mal dont ses beaux yeux dix ans m’ont fait mourir,
Non seulement du corps, mais sans plus d’une œillade
Eust voulu soulager mon pauvre cœur malade,
Je ne l’eusse laissée, et m’en soit à tesmoin
Ce jeune enfant aislé qui des amours a soin.
Mais voyant que tousjours elle marchoit plus fiere,
Je desliay du tout mon amitié premiere,
Pour en aimer une autre en ce pays d’Anjou,
Où maintenant Amour me detient sous le j ou :
Laquelle tout soudain je quitteray, si elle
M’est, comme fut Cassandre, orgueilleuse et rebelle,
Pour en chercher une autre, afin de voir un jour
De pareille amitié recompenser m’amour,
Sentant l’affection d’un[e] autre dans moymesme :
» Car un homme est bien sot d’aimer si on ne l’aime.
Or si quelqu’un apres me vient blasmer, dequoy
Je ne suis plus si grave en mes vers que j’estoy
A mon commencement, quand l’honneur Pindarique
Enfloit empoulément ma bouche magnifique :
Dy luy que les amours ne se souspirent pas
D’un vers hautement grave, ains d’un beau stile bas,
Populaire et plaisant, ainsi qu’a fait Tibulle,
L’ingenieux Ovide, et le docte Catulle.
Le fils de Venus hait ces ostentations :
Il suffist qu’on luy chante au vray ses passions
Sans enflure ny fard, d’un mignard et doux stile,
Coulant d’un petit bruit, comme une eau qui distile.