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» Chaste, divine, saincte : aussi l’amoureux doit
» Celebrer la beauté dont plaisir il reçoit :
» Car celuy, qui la blasme apres la jouyssance,
» N’est homme, mais d’un Tygre il a prins sa naissance.
Quand quelque jeune fille est au commencement
Cruelle, dure, fiere à son premier amant,
Constant il faut attendre : il peut estre qu’une heure
Viendra, sans y penser, qui la rendra meilleure.
Mais quand elle devient voire de jour en jour
Plus dure et plus rebelle, et plus rude en amour,
On s’en doit esloigner, sans se rompre la teste
A vouloir adoucir une si sotte beste.
Je suis de tel advis : me blasme de cecy,
Ou louë qui voudra, je le conseille ainsi.
Les femmes bien souvent sont cause que nous sommes
Volages et legers, amadoûans les hommes
D’un espoir enchanteur, les tenans quelquefois
Par une douce ruse un an, ou deux, ou trois,
Dans les liens d’Amour sans aucune allegeance :
Ce-pendant un valet en aura jouyssance,
Ou bien quelque badin ce bien emportera,
Et sa faulx dans le bled secrettement mettra.
Et si ne laisseront, je parle des rusées,
Qui ont au train d’amour leurs jeunesses usées
(C’est bien le plus grand mal qu’un homme puisse avoir
De servir quelque vieille accorte à decevoir)
D’enjoindre des travaux qui sont insupportables,
Des services cruels, des tasches miserables :
Car sans avoir egard à la simple amitié
De leurs pauvres servans, cruelles n’ont pitié,
Non plus que fiers Tyrans en arrogance braves
Des captifs enchaisnez à l’aviron esclaves.