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Tu sçais (mon cher enfant) que je ne te voudrois
Ny tromper ny mocquer : laschement je faudrois,
Comme un Tygre engendré de farouche nature,
Si je voulois trahir ma propre geniture.
Car tel que je te voy, n’agueres je te fis,
Et je ne t’aime moins qu’un pere aime son fils.
Quoy ? tu veux donc partir : et tant plus je te cuide
Retenir au logis, plus tu hausses la bride.
Va donc, puis qu’il te plaist : mais je te suppliray
De respondre à chascun ce que je te diray,
Afin que toy (mon fils) gardes bien en l’absence
De moy le pere tien, l’honneur et l’innocence.
Si quelque dame honneste et gentille de cœur
(Qui aura l’inconstance et le change en horreur)
Me vient, en te Usant, d’un gros sourcil reprendre
Dequoy je ne devois oublier ma Cassandre,
Qui la premiere au cœur le trait d’amour me mist,
Et que le bon Petrarque un tel peché ne fist,
Qui fut trente et un ans amoureux de sa dame,
Sans qu’un[e] autre jamais luy peust eschauffer l’ame :
Respons luy, je te pri’, que Petrarque sur moy
N’avoit authorité de me donner sa loy,
Ny à ceux qui viendroient apres luy, pour les faire
Si long temps amoureux sans leur lien desfaire.
Luymesme ne fut tel : car à voir son escrit
Il estoit esveillé d’un trop gentil esprit
Pour estre sot trente ans, abusant sa jeunesse,
Et sa Muse, au giron d’une vieille maistresse :
Ou bien il jouyssoit de sa Laurette, ou bien
Il estoit un grand fat d’aimer sans avoir rien.
Ce que je ne puis croire, aussi n’est-il croyable :
Non, il en jouyssoit : puis l’a faite admirable,