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Son ris, et son regard, et sa parole pleine
De merveilles, n’estoient d’une nature humaine :
Son front ny ses cheveux, son aller ny sa main.
C’estoit une Déesse en un habit humain,
Qui visitoit la terre, aussi tost enlevée
Au ciel, comme elle fut en ce monde arrivée.
Du monde elle partit aux mois de son printemps,
Aussi toute excellence icy ne vit long temps.
Bien qu’elle eust pris naissance en petite bourgade,
Non de riches parens, ny d’honneurs, ny de grade,
Il ne l’en fault blasmer : la mesme Deité
Ne desdaigna de naistre en trespauvre cité :
Et souvent sous l’habit d’une simple personne
Se cache tout le mieux que le destin nous donne.
Vous qui veistes son corps, l’honorant comme moy,
Vous sçavez si je ments, et si triste je doy
Regretter à bon droict si belle creature,
Le miracle du Ciel, le mirouer de Nature.
O beaux yeux, qui m’estiez si cruels et si doux,
Je ne me puis lasser de repenser en vous,
Qui fustes le flambeau de ma lumiere unique,
Les vrais outils d’Amour, la forge, et la boutique.
Vous m’ostastes du cœur tout vulgaire penser,
Et l’esprit jusqu’au ciel vous me fistes hausser.
J’apprins à vostre eschole à resver sans mot dire,
A discourir tout seul, à cacher mon martire,
A ne dormir la nuict, en pleurs me consumer.
Et bref, en vous servant, j’apprins que c’est qu’aimer.
Car depuis le matin que l’Aurore s’esveille
Jusqu’au soir que le jour dedans la mer sommeille,
Et durant que la nuict par les Poles tournoit,
Tous jours pensant en vous, de vous me souvenoit.