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Lors je vivois amoureux de moy-mesme,
Content et gay, sans porter couleur blesme
Ny les larmes à l’œil.
J’avois escrite au plus haut de la face,
Avec l’honneur une agreable audace
Pleine d’un franc desir :
Avec le pied marchoit ma fantasie
Où je voulois, sans peur ne jalousie,
Seigneur de mon plaisir.
Mais aussi tost que par mauvais desastre
Je vey ton sein blanchissant comme albastre,
Et tes yeux, deux soleils,
Tes beaux cheveux espanchez par ondées
Et les beaux liz de tes lévres bordées
De cent œillets vermeils,
Incontinent j’appris que c’est service :
La liberté de mes ans la nourrice,
S’eschappa loin de moy :
Dedans tes reths ma premiere franchise
Pour obeyr à ton bel œil, fut prise
Esclave sous ta loy.
Lors tu serras mes deux mains à la chesne,
Mon cœur au cep, et l’esprit à la gesne,
Maistresse sans pitié :
Ainsi qu’en mer un rigoreux Corsere,
Fils d’un rocher, n’a pitié d’un forcere
A la chesne lié.
Tu mis cruelle, en signe de conqueste,
Comme veinqueur, tes deux pieds sur ma teste,
Et du front m’a osté
L’honneur, la honte, et l’audace premiere
Acouhardant mon ame prisonniere,