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132.
II. LIVRE
ODE XII.



AH Dieu ! que malheureux nous ſommes:
Ah Dieu ! que de maux en vn temps
Offenſent la race des hommes
Semblable aux fueilles du Printemps,
Qui vertes deſſus l'arbre croiſſent,
Puis elles l'Automne ſuiuant,
Seiches à terre n'apparoiſſent
Qu'vn iouët remoqué du vent.
Vrayment l'eſperance eſt meſchante,
D'vn faux maſque elle nous deçoit,
Et touſiours pipant elle enchante
Le pauure ſot qui la reçoit:
Mais le ſage qui ne ſe fie
Qu'en la plus ſeure verité,
Sçait que le tout de noſtre vie
N'eſt rien que pure vanité.
Tandis que la creſpe iouuence
La fleur des beaux ans nous produit,
Iamais le ieune enfant ne penſe
A la vieilleſſe qui le ſuit:
Ne iamais l'homme heureux n'eſpere
De ſe voir tomber en mechef,
Sinon alors que la miſere
Deſia luy pend deſſus le chef.
Homme debile & miſerable,
Pauure abuſé ne ſçais-tu pas
Que la ieuneſſe eſt peu durable,