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COMPTES-RENDUS

dans beaucoup de mots, parce que la diphtongue au, issue de al, s’y est usée peu à peu jusqu’au son ô ; le fr. eil a perdu le son de l’l mouillée et ne vaut plus que ej ; on comprend que le fr. persiste à écrire chaud et soleil ; mais quelle singulière idée d’écrire en patois p. ex. désaumé (disaestimare, anc. fr. désasmer) pour désômé, ou achaleilne, « haleine » pour achalejne ! D’ailleurs on devine ce qu’une pareille tentative amène forcément d’inconséquences pour l’auteur et d’incertitudes pour le lecteur. On ne peut se refuser à adopter l’orthographe phonétique dans des ouvrages de lecture destinés au grand public ; elle s’impose dans des livres de science.

Le vocabulaire français-patois est du plus grand intérêt, et on peut en recommander l’imitation aux auteurs de travaux analogues. Rien n’est plus digne d’attention que les pertes de mots et leurs remplacements : il y a là de curieux problèmes de psychologie populaire. Le fr. garçon, par exemple, a été dans plusieurs communes supplanté par l’all. bube ; génisse se dit toriche dans trois communes, vôiote (dim. fém. de veau) dans une ; aimer est remplacé par les représentants de pretiare dans plusieurs localités ; chien est partout conservé, mais chat se dit tchette, matou, marcou, mraou, raou, rô ; je ne parle pas des noms d’animaux et de plantes sauvages, dont l’abondance et la variété surprennent. Ce vocabulaire permet aussi de saisir les mille nuances de la phonétique d’une région ; je recommande à ce point de vue l’étude des formes sans nombre qui répondent en lorrain au fr. aiguille.

En tête du volume de M. Adam se trouve une introduction qui n’en est pas, à mon avis, la meilleure partie. L’introduction à un ouvrage sur les patois doit être surtout historique et comparative. L’auteur doit rechercher, s’il le peut, les monuments anciens écrits dans les régions dont il s’occupe qui offrent un caractère dialectal, et tâcher ainsi de retrouver les états antérieurs du parler qu’il étudie. Il doit ensuite le comparer aux idiomes voisins, et montrer quelle place il occupe dans ce grand tableau aux teintes insensiblement dégradées, qui, du sud au nord et de l’est à l’ouest, représente l’épanouissement du latin populaire. Tout travailleur qui étudie, non pas le parler spécial d’une localité, mais les parlers de toute une région, s’enferme nécessairement dans des limites arbitraires et factices et n’a pas devant lui un ensemble naturel. Il est d’autant plus nécessaire qu’après avoir signalé les traits caractéristiques qui se dégagent de son enquête, il indique approximativement leurs rapports avec ceux des régions avoisinantes. Quant à l’origine du patois, à la portée ethnographique des phénomènes qu’il offre, il est inutile de conseiller de laisser ces questions de côté : le linguiste qui aura fait avec compétence le double travail dont je parle se sera dépouillé avant la fin de toute idée fausse à cet égard. — M. Adam n’a pas procédé ainsi. Croyant à l’existence d’une unité linguistique lorraine (quoiqu’il ait bien la notion que les patois lorrains ne forment pas une langue), il s’est efforcé de les distribuer en dialectes et sous-dialectes : tentative stérile, et dont l’échec montre une fois de plus que toutes ces divisions sont vaines, et qu’il faut faire la géographie non des dialectes, mais des traits linguistiques. M. A. reconnaît à maint endroit que les autres groupes qu’on forme à l’aide de tel ou tel trait se résolvent en de tout autres combinaisons si on prend un autre crité-