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Adam, Les patois lorrains

que signale l’auteur, et qu’il atteste par de nombreux documents, est l’existence dans certains parlers lorrains de deux imparfaits de l’indicatif, dont le second diffère du première par l’adjonction à toutes les personnes de la finale or (var. tor, to, zo, zoue, zeur, zar, za) ; ainsi, pour prendre l’exemple le plus simple, à côté de j’avwè, t’avwè, èl avwi, j’avwin, vs avwin, èl avwinte, on a : j’avwéor, t’avwèsor, èl avwitor, j’avwintor, vs avwintor, èl avwintor. M. Adam appelle cet imparfait l’« imparfait prochain » et l’autre « l’imparfait distant » ; mais cette nuance de sens, si elle est bien réelle (ce que ne suffit pas à prouver le seul exemple donné à l’appui p. xl), n’existe que dans quelques communes disséminées sur tout le territoire[1] ; les autres n’emploient pour l’imparfait qu’une forme, comme en français, tantôt celle du français, tantôt celle qui suffixe -or. Quelle est l’origine de cette forme en -or ? L’auteur des Patois lorrains est porté (p. xl) à la chercher dans la voie moyenne du latin ou du celtique ! S’il avait remarqué que la syllabe or s’ajoute non au thème, mais à chaque personne complète, il aurait rejeté bien loin une pareille idée, que tant d’autres raisons feraient écarter. Nous avons là évidemment l’agglutination de l’adverbe de temps or, ore, si usité au moyen âge. Ce phénomène, à en juger par les formes les plus archaïques que les personnes de l’imparfait ont gardées dans l’agglutination en certains endroits, peut bien remonter au xvie siècle. Il serait intéressant d’en rechercher les commencements dans des textes de ce temps et même des temps antérieurs. Une autre forme agglutinative de la conjugaison lorraine est digne de remarque, c’est la « conjugaison négative ». Pas, point du français sont remplacés par l’ancien mie ; mais, ce qui est curieux, c’est que ce mie, dans beaucoup de localités, perd son accent et devient me, m’ : je n’vieu me, je n’vieu m’, « je ne veux pas ». La même particularité se retrouve dans toute une région de la France plus ou moins voisine de la Lorraine ; elle s’explique probablement par un emploi antérieur de me comme forme atone de mie devant le régime du verbe : Je n’vieu mi parler, puis je n’vieu m’ parler, et enfin je n’vieu m’. Il serait bon d’en faire l’historique à l’aide des documents patois qu’on possède en assez grand nombre dans toute cette région pour les siècles qui ont précédé le nôtre. — La grammaire se termine par l’étude des mots invariables, qui aurait pu sans inconvénient être fondue dans le vocabulaire.

Le Vocabulaire est double. Vient d’abord un vocabulaire patois-français, qui, comme je l’ai dit, pourrait être plus riche, mais qui est déjà précieux. L’auteur, ici comme dans les textes qu’il donne à la fin, a cru devoir soumettre le patois à une orthographe étymologique imitée de celle du français. Les raisons qu’il apporte en faveur de ce procédé sont loin d’être solides ; mais il l’a en outre singulièrement appliqué. Je ne parle pas de la difficulté qu’il y a à écrire étymologiquement des mots dont on ne sait pas l’étymologie ; mais pourquoi emprunter au français des notations qui y ont une raison d’être étymologique pour les appliquer à un patois où cette raison n’existe pas ? Le fr. rend o long par au

  1. On voit clairement à cet endroit l’inconvénient de la méthode suivie par l’auteur. Il étudie ce temps, qui est naturellement pareil pour tous les verbes (comme le futur, le conditionnel et les temps composés), d’abord pour avoir, puis pour être, puis pour les autres verbes. Et la liste des communes où on emploie « les deux imparfaits » varie pour chacun de ces cas !