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COMPTES-RENDUS

localités lorraines qui offrent les articulations en question et les rapproche de leurs correspondants français et même latins, mais sans essayer de classer les consonnes ou groupes de consonnes latines qu’elles représentent. C’est cependant là, et non dans de prétendus résultats ethnographiques, qu’est l’intérêt de semblables études, qui pourraient en Lorraine, à l’aide des chartes et des textes du moyen âge, devenir assez strictement historiques et aboutir à des conclusions assez précises. Malgré ces remarques, la phonétique des patois lorrains, dressée avec soin et documentée par un très grand nombre d’exemples, offre un ensemble de faits d’un grand intérêt, qu’on pourra maintenant compléter et classer, et qui entreront dans l’histoire de la langue française.

Le dernier chapitre de la phonétique est consacré à la « formation des mots », ce qui semble assez peu justifié ; mais en réalité, là aussi, il ne s’agit que de phonétique. On y traite d’abord de la suppression des atones conservées en français, phénomène commun à tous les patois et en fait au français lui-même dans l’usage familier, puis de l’aphérèse et de l’apocope « syllabique ». C’est ici que l’étude historique du sujet aurait été profitable. Les cas d’« aphérèse syllabique » demandaient à être divisés en classes. Les uns sont des mots où un e prothétique devant s impure ou un e assimilé à celui-là est tombé, soit que l’s ait persisté ou se soit changée en hh, soit qu’elle ait disparu (hhifue exiforis « printemps », hhtéde extinguere, strain hhtrain train stramen, pinouhhe « épinoche », chiré skîrân, cohi excortiare) ; 2° des mots d’origine grecque, sujets dans toutes les langues romanes et en français ancien à l’aphérèse (rlouge horologio, jeupcine aegyptiana) ; 3° un mot commençant par o, qui l’a perdu dans un région où l’art. masc. est lo par suite d’une mauvaise division (rjlé[1] auriculario). Les autres mots ne contiennent nullement une aphérèse : venche pour pervenche est la forme de l’ancien français et renvoie à un latin populaire vinca ; térier est l’anc. fr. tarier et n’a rien à faire avec contrarier ; cliner est une aphérèse d’incliner comme temnere, d’après le Dictionnaire de l’Académie française (dernière édition), est un aphérèse de contemnere ; vehho n’est pas une aphérèse de putois (!), mais l’anc. fr. voison, esp. veso (voy. Diez). Les exemples d’« apocope syllabique » ne sont pas donnés moins confusément. Sur la prothèse d’une voyelle au mot gland, cf. Rom. vii, 108.

Après la phonétique vient la Grammaire, qui comprend, avec trop de détail parfois et dans une disposition qui n’est pas toujours la meilleure, un grand nombre de faits intéressants. Nous signalerons les formes lo, lou, pour l’art. sing. masc., las, los, lis pour l’art. plur.[2], don pour du, i et on[3] pour au, as et is pour aux, lute et zute (zoute, zite) pour leur, aque (iéque) pour « quelque chose » (anc. fr. alques), etc. — Le chapitre du verbe est traité avec plus d’étendue que d’ordre[4], mais il est fort intéressant. Le fait le plus curieux

  1. Sur la valeur de la notation j, voy. Rom. x, 37.
  2. M. A. dit à ce propos que dans l’ancien français lis était la forme du cas sujet. Il veut sans doute dire li ; mais l’s qu’il écrit dans le mot patois se prononce-t-elle ?
  3. J’ai quelque doute sur cette forme ; dans le seul exemple qu’on en cite, elle peut très bien être pour « en le » et non pour à le.
  4. On aurait gagné bien de la place et bien augmenté la clarté en suivant l’ordre excellent de Diez.