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Adam, Les patois lorrains

Le travail de rédaction mérite aussi des éloges, mais prête à de sérieuses critiques. La première partie, la Phonétique, est faite sur un plan défectueux. On ne saurait trop répéter que la phonétique d’un patois roman, comme celle d’une langue romane, doit se composer de deux parties distinctes : la partie descriptive et la partie étymologique. La première doit relever tous les sons, les faire connaître aussi exactement que possible, indiquer soigneusement les limites où chacun se fait entendre ; la seconde doit toujours partir du latin, prendre chaque son et chaque groupe de sons du latin et montrer ce qu’il donne dans le parler de chacune des localités qu’on étudie. Les travaux de MM. Cornu et Gilliéron sur divers patois suisses peuvent en cela servir de modèles. Le petit atlas phonétique que ce dernier savant a dressé pour une partie du Valais ne saurait, notamment, être trop recommandé à l’imitation. La phonétique étymologique n’est d’ailleurs vraiment complète que quand elle est historique, c’est-à-dire quand on peut signaler les transformations successives des sons à travers les siècles depuis le latin jusqu’au langage contemporain. M. Adam ne donne qu’une phonétique descriptive, et ne recourt à l’étymologie que rarement. Il en résulte qu’on voit trop souvent, sans qu’il en donne la raison, un son varier « dans un certain nombre de mots, » qui, lorsqu’on les examine de près et qu’on les rapporte à leur origine latine, ont tous quelque particularité commune qui explique la variante phonétique qu’ils présentent. Ce n’est pas au français qu’il faut comparer le patois, mais au latin ; sans cela, on tombe souvent dans des erreurs. Ainsi l’auteur a établi que « la diphtongue oi, qui sonne en français oa, oua [en réalité wa], sonne en patois , ouè, , oué, ouo, ouau [en réalité , , , ] », et il ajoute : « Non seulement la substitution dans la diphtongue des sons è, é, o, au au son a [ce mot de « substitution » est employé tout à fait à tort] est une règle à peu près générale, mais encore la diphtongue elle-même est très fréquemment remplacée par l’une des voyelles simples é, è, eu, o, au, ou. Ainsi « armoire » se dit armouère à Ramonchamp, mais les formes aurmoire, airmaire, aumère, etc., sont usitées dans le plus grand nombre de communes. » Armouère est le mot français avec la prononciation du xviie siècle[1] ; les autres formes remontent à l’ancien français armaire, qui répond au latin armario, et c’est cette forme plus correcte qu’ont gardée presque tous les parlers lorrains ; aussi ne voyons-nous pas ici de formes en o, comme pour d’autres mots où le fr. oi s’appuie sur un ei ou un oi antérieurs. Je pourrais multiplier ces observations ; je me borne à un point particulièrement important. « L’un des traits les plus caractéristiques de l’idiome populaire lorrain est que dans un grand nombre de mots, les articulations : hh, h, ch, j, g (doux) correspondent aux articulations françaises et latines : s, ch, g, j, r, rc, rg, rs, s, ss, sc, st, v, x, z. » Est-il possible qu’une pareille confusion règne réellement dans un langage, et n’est-il pas clair qu’il aurait fallu grouper tous les mots de ce genre en les comparant à leurs types latins pour en dégager les lois de permutation ? M. A. donne en grande abondance des mots de toutes les

  1. Il est singulier que dans le Vocabulaire cette forme de Ramonchamp ne soit pas enregistrée, tandis qu’on donne ormouère, forme du français populaire, comme recueillie à Saint-Blaise-la-Roche, assez loin de Ramonchamp.