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COMPTES-RENDUS

que les inspecteurs avaient encouragés à ce travail, la plupart fort imparfaits et incomplets. Les lacunes étant surtout considérables pour le Barrois, on en a ajourné l’étude ; on a aussi, sans dire pourquoi (mais on le devine), laissé de côté le pays messin : restent donc les départements de Meurthe-et-Moselle et des Vosges, dans lesquels, malgré beaucoup de blancs, l’enquête a donné des résultats assez riches et assez compactes pour pouvoir être mis en œuvre (quelques mémoires paraissent avoir été excellents). L’académie avait, semble-t-il, primitivement l’intention de publier les mémoires eux-mêmes ; elle a reconnu sans doute qu’on n’obtiendrait ainsi qu’un chaos inextricable, et elle a chargé deux de ses membres de rédiger à l’aide de ces mémoires un travail général qui leur convenait d’autant mieux que c’étaient ces deux membres qui avaient eu l’idée de l’enquête et fait le questionnaire. De ces deux membres, l’un, M. Charles Gérard, mourut au début du travail ; le survivant, M. Lucien Adam, connu par des travaux linguistiques estimés, a tiré des mémoires qu’il a eus entre les mains le volume que nous annonçons.

J’ai dit plus haut que le questionnaire distribué par l’académie de Stanislas était assez bien fait. On y louera l’insistance avec laquelle les rédacteurs ont recommandé à leurs correspondants d’écarter les mots français introduits dans le parler patois (bien qu’à un certain point de vue ces mots aient aussi leur intérêt), et surtout de ne pas confondre des mots recueillis dans différentes localités. C’est une heureuse idée que d’avoir dressé une liste de mots les plus nécessaires en en demandant l’équivalent dans le parler de chaque commune. Mais pourquoi avoir restreint le vocabulaire aux mots « les plus usuels » ? Une masse énorme de vocables reste évidemment inconnue après le travail de l’académie, bien qu’elle ait dressé, grâce à quelques-uns de ses correspondants qui ont dépassé son programme, une liste déjà intéressante. La partie grammaticale aurait pu être plus complète et en certains points mieux ordonnée. La partie du programme la plus difficile à bien rédiger était celle où il s’agissait des « textes ». Il est très embarrassant, à vrai dire, d’en recueillir de suffisants par le procédé d’une enquête officielle. Le système de la traduction en chaque idiome local d’un seul et même morceau, appliqué jadis, comme on sait, pour la parabole de l’Enfant prodigue, est loin d’être satisfaisant, d’abord parce que le morceau choisi est nécessairement très court et laisse échapper un trop grand nombre de faits, ensuite parce qu’une traduction, surtout faite par des gens inexpérimentés, ne donne pas une juste idée de l’usage vivant et spontané d’une langue. L’académie a voulu mieux faire ; elle a demandé des « compositions originales telles que : chansons, rondeaux (?), noëls, fabliaux (?), légendes, proverbes et dictons. » Si on en juge par ce qu’elle a communiqué, elle a recueilli fort peu de chose, et il devait en être ainsi. Les personnes à qui elle devait s’adresser ne comprennent pas bien en général de quoi il s’agit et n’ont pas le flair délicat à l’aide duquel on discerne et on recueille les vraies productions du génie populaire. Au reste, au point du vue purement linguistique, ce n’est un réel dommage que pour la syntaxe, la partie la plus cachée, la plus difficile à atteindre et jusqu’à présent la moins bien connue de toutes nos grammaires. En somme, le questionnaire de l’académie était conçu d’une façon pratique et pouvait obtenir de bons résultats.