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contes populaires lorrains

Elle fut bien effrayée et poussa de grands cris. Il la rassura et lui dit que, si elle suivait ses recommandations, il l’épouserait, qu’elle serait reine et que le château lui appartiendrait. Le lendemain, il reprit la forme d’un loup blanc, et la pauvre enfant pleurait en entendant ses hurlements.

Après avoir encore passé la nuit suivante au château, le père s’en retourna chez lui. La jeune fille resta au château et ne tarda pas à s’y plaire : elle y trouvait tout ce qu’elle pouvait désirer ; elle entendait tous les jours des concerts de musique ; rien n’était oublié pour la divertir.

Cependant sa mère et ses sœurs étaient dans une grande inquiétude. Elles se disaient : « Où est notre pauvre enfant ? où est notre sœur ? » Le père, à son retour, ne voulut d’abord rien dire de ce qui s’était passé ; à la fin pourtant il céda à leurs instances et leur apprit où il avait laissé sa fille. L’une des deux aînées se rendit auprès de sa sœur et lui demanda ce qui lui était arrivé. La jeune fille résista longtemps ; mais sa sœur la pressa tant qu’elle lui révéla son secret.

Aussitôt on entendit des hurlements affreux. La jeune fille se leva épouvantée. À peine était-elle sortie, que le loup blanc vint tomber à ses pieds. Elle comprit alors sa faute ; mais il était trop tard, et elle fut malheureuse tout le reste de sa vie.


Il est facile de reconnaître, dans la seconde partie de notre conte lorrain (séjour de la jeune fille dans le palais d’un être mystérieux auquel elle a été livrée, défense qui lui est faite de rien révéler de sa vie nouvelle, désobéissance de la jeune fille), le thème principal d’un récit célèbre dans l’histoire de la littérature antique, la fable de Psyché. Nous aurons donc à examiner cette fable et ce qui s’y rattache ; mais auparavant il nous faut étudier la première partie de notre conte lorrain, qui n’existe pas dans Psyché.

Les contes où nous trouvons cette introduction appartiennent presque tous à trois groupes plus ou moins étroitement apparentés avec la fable de Psyché. Dans le premier groupe, — celui qui a le plus directement rapport avec Psyché et dont fait partie notre Loup blanc, — nous pouvons mentionner d’abord un conte piémontais (A. de Gubernatis, Zoological Mythology, ii, p. 381). Un homme, s’en allant en voyage, dit à ses trois filles qu’il leur rapportera ce qu’elles désireront : la troisième, Marguerite, ne veut qu’une fleur. Comme il cueille une marguerite dans le jardin d’un château, un crapaud apparaît et lui dit qu’il mourra dans trois jours, s’il ne lui donne pas une de ses filles pour femme. La plus jeune consent à épouser le crapaud, qui, la nuit, devient un beau jeune homme. Il défend à Marguerite de révéler ce secret à personne ; autrement il restera toujours crapaud. Les sœurs de la jeune femme, se doutant de quelque mystère, la pressent tant, qu’enfin elle parle. Le crapaud disparaît ; elle l’appelle au moyen d’un anneau qu’il lui a donné et par la vertu duquel on obtient tout ce qu’on désire ; mais en vain. Alors elle jette l’anneau dans un étang, et son mari repa-