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PEIRE VIDAL, Drogoman seiner 427

III. Pour la hardiesse, je vaux Rolant et Olivier, pour la galanterie Berart de Montdidier1. Ma prouesse me vaut si bonne renommée, que souvent il me vient des messagers, avec un anneau d’or, avec un cordon blanc et noir2, avec des saluts3 qui me remplissent le cœur de joie.

IV. En toutes choses, je me montre chevalier. Aussi le suis-je, et je sais tout ce qui convient à druerie, car jamais vous ne vîtes si charmant en chambre [de dame], ni, les armes à la main, si terrible ni si puissant ; et pour cela m’aime et me redoute tel qui ne voit ni ne m’entend.

V. Et si j’avais un cheval qui fût bon coursier, le roi [Alphonse] vivrait tranquille vers Balaguer, et dormirait doucement et paisiblement, car je lui main tiendrais en paix la Provence et Montpellier ; tellement que brigands et cavaliers de rencontre4 ne lui dévasteraient pas l’Autaves ni la Crau :

VI. Et si le roi marche sur Toulouse, dans la grève, et si le comte en sort avec ses misérables dardiers qui ne cessent de crier Aspa ! Ossau ! je me vante


1 Bérart de Montdidier figure en plusieurs chansons de geste ; mais ce n’est

guère que dans les Saisnes de Jehan Bodel qu’il justifie par ses amours avec Helissent de Cologne, la réputation que lui attribue P. Vidal. Toutefois, quel ques vers de Fierabras (2124 et suiv., cf. 3281), nous le présentent comme le type du chevalier aimant à dosnoier.

2 Cf. Daude de Prades, En un sonet (Parn. occit. p. 87) :

Ja no i man letra ni sagel

Nim done cordon ni anel...

et Ugo Brunenc, Pois l’adreitz tems (Mahn, Gedichte, t. I", n° 84, et p. 200) : Qu’ieu vi d’amor quel gaug el ris el sen,

Coblas e motz, cordo, anel e gan,

Solian pagar los amadors .j. an.

Voir encore P. Vidal lui-même en une autre de ses pièces (Bartsch,9, 37-8), Raimon de Miraval, dans Lex. rom. I, 424, etc. Ces cordons ont pu être (rien de plus naturel) ceux que les dames portaient à leur cou. Matfre Ermengaut dit dans sa chanson Dreg de natura comanda, qu’il veut aimer la dame la plus belle

Que a son col portes cordo

Ni en son cap velh ni benda.

Mais il est sûr aussi que les dames savaient faire de jolis cordons brodés pour ceux à qui elles désiraient marquer leur bienveillance. Nous possédons encore un de ces gages d’amour. II sert d’attache au sceau de Richard cœur de Lion, appendu à une charte de 1190. M. L. Delisle l’a décrit dans la Bibliothéque de l’Ecole des chartes, 3, IV, 56 ss., et a publié, en la complétant, l’inscription suivante qui est brochée dans la soie même de ce cordon : Je sui druerie, Ne me dunez mie. Ki nostre amur deseivre. La mort pu[ist receivre].

M. Delisle a donné des raisons très-plausibles, tirées des circonstances rappor tées dans la charte, pour justifier l’emploi de ce cordon comme attache de sceau.

3 Des lettres d’amour, peut-être des pièces de vers analogues au salut dont

il question dans Flamenca.

4 Mot à mot, « gens montés sur des roncins, » qui étaient aux chevaliers,

montés sur des destriers, ce que les francs-tireurs sont à l’armée régulière.