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298 G. PARIS

Diez a exprimé l’idée, qui paraît plausible, que notre poème n’est
qu’un fragment d’une composition plus considérable qui racontait toute la
vie du Christ 1. Il est assez difficile de déterminer la source du poète :
il ne se borne pas à l’Evangile, et emprunte certains traits du récit à des
sources apocryphes (str. 94 ss. à l’Evangile de Nicodème) : je suis porté
à croire qu’il a également trouvé dans le texte latin qu’il suivait le fond
des réflexions pieuses, des interprétations symboliques qu’il ajoute au
récit, et de la courte conclusion, sur la diffusion du christianisme et les
devoirs des chrétiens, par laquelle il le termine. Il ne manque pas, dans
son style archaïque, de concision ni de mouvement ; mais on ne peut
aller jusqu’à lui reconnaître un talent poétique auquel il ne prétendait
pas. Son poème est un exemple, et tout à fait louable, des efforts que
faisait le clergé pour répandre dans le peuple, ignorant de la langue
latine, les récits et les enseignements qui constituent la doctrine chré-
tienne. Le caractère de l’écriture et de la langue lui assigne pour date
le xe siècle : mais je ne sais si on serait autorisé, en l’absence de preuves
aussi claires, à conclure cette date, comme l’a fait Champollion, des vers
127ab :

Quar finimunz non est mult lon,
Et regnum Deu fortment es prob.

Il est certain qu’on a beaucoup exagéré la terreur de l’an mil, et que
les idées sur le voisinage de la fin du monde, si répandues chez les
chrétiens primitifs, étaient au moins aussi courantes au ixe siècle qu’au xe
et ne cessèrent pas de l’être au xie 2.

Le poème de la Passion a été publié une première fois, comme
le Saint Léger et aussi mal, par Champollion-Figeac ; M. Diez en a
donné en 1852, dans ses Zwei altromanische Gedichte, une édition fort
améliorée. En 1855, dans les Gelehrte Anzeigen de l’Académie de Munich,
M. (Conrad Hofmann a proposé une série de corrections. Diez lesa adop-
tées presque toutes dans son second travail sur notre poème (Jahrbuch
fur romanische Literatur, 1860, p. 361-380), en a communiqué quelques-
unes
dues à M. Delius, et en a fait de son chef un certain nombre
d’autres. M. Hofmann est revenu à son tour sur ce sujet dans les
Comptes-rendus de l’Académie de Munich (séance du 6 juillet 1867), et a
traité encore quelques passages difficiles. M. Bartsch, qui avait remanié
quelques vers dans la première édition de sa Chrestomathie française, a
donné dans la seconde les strophes 30-89 d’après ma collation —
Le ms. a confirmé en un très-grand nombre de cas les conjectures de

1 . Hora vos dic semble indiquer le début d’une partie du poème, comme S. Léger, str. 26 : Hore en odreiz, etc.

2. Voy. sur ce sujet un bon travail de dom Fr. Plaine dans la Revue des Questions historiques, 1873, p. 145 ss.