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Alors, ces animaux tremblants et tout émus,
Comme pour se conter les ruts qui les harassent,
Se hument longuement, se pourlèchent, s’embrassent,
Corne à corne, et joignant leurs gros museaux camus.

Graves et solennels près de cette voiture,
Ils ont l’air de comprendre, avec le libre instinct,
Qu’ils vont se donner là, sous l’œil blanc du Matin,
Le grand baiser d’Amour qui peuple la Nature.

Enfin, quand il a mis son mufle au bon endroit,
Le Brun, aux rayons frais du soleil qui se dore,
Renifle dans le vent la senteur qu’il adore
Et s’apprête, indécis, boiteux et maladroit.

Il marche à reculons, il tournoie, il oblique ;
Puis, ayant consulté sa récente vigueur,
Darde son nerf pointu dans toute sa longueur,
Et s’enlève puissant, fauve et mélancolique.

Mais, déséquilibré sitôt qu’il est debout,
Il use, à tâtonner, son ardeur qui succombe :
Il se hisse et fléchit, il regrimpe et retombe ;
Et pourtant, le taureau n’est pas encore à bout.

En vain les quolibets pleuvent du petit groupe :
Il se recueille en lui pour un nouvel assaut,
Il reflaire, il relèche, il se dresse en sursaut,
Et voilà qu’il reprend la vache par la croupe.