l’un aime l’autre, et si aucun ne s’aime soi-même, s’ils mettent tous les deux leur plaisir et leur joie à aspirer à la même fin tous deux, si mille et mille amours ne seraient pas la centième partie de l’amour, de la foi qui les lie, un mouvement de dépit pourra-t-il rompre jamais et dénouer un tel lien ?[1]
Cet oubli de soi, ce don ardent de tout son être qui se fond dans l’être aimé, n’eut pas toujours cette sérénité. La tristesse reprenait le dessus ; et l’âme, possédée par l’amour, se débattait en gémissant.
Je pleure, je brûle, je me consume, et mon cœur se nourrit de sa peine…
I’ piango, i’ ardo, i’ mi consamo, e ’l core
Di questo si nutriscie…[2]
Toi qui m’as pris la joie de vivre,
À ces poésies trop passionnées, « le doux seigneur aimé »,[4] Cavalieri, opposait sa froideur affectueuse et tranquille.[5] L’exagération de cette amitié le choquait, en secret. Michel-Ange s’en excusait :
- ↑ Poésies, XLIV. — Voir aux Annexes, XV.
- ↑ Poésies, LII. — Voir aussi, LXXVI. À la fin du sonnet, Michel-Ange joue sur le nom de Cavalieri :
Resto prigion d’un Cavalier armato.
(Je suis prisonnier d’un cavalier armé.) - ↑ Onde al mio viver lieto, che m’ha tolto…(Poésies, CIX, 18)
- ↑ Il desiato mie dolce signiore…(Ibid., L)
- ↑ Un freddo aspetto…(Ibid., CIX, 18)
- ↑ Le texte exact dit : « Ce que toi-même tu aimes le mieux en toi. »