Page:Rolland Les origines du théâtre lyrique moderne.djvu/42

Cette page n’a pas encore été corrigée

28 LES ORIGINES DU THÉÂTRE LYRIQUE MODERNE.

effet une tragédie, et la plus haute de toutes, celle de Dieu et de Famé humaine. L'émotion est concentrée dans les Messes; elle tient les yeux baissés devant le divin sacrifice ; elle fait effort pour l'accomplir sans trouble, avec tranquillité; elle transparaît seule- ment au travers des Benedictus et des Agnus, des tendres repen- tirs, humbles et extasiés. Mais elle est plus libre dans les motets et les répons. Soit qu'il mette directement en scène le Christ aux Oliviers (1), sa tristesse, ses doux reproches découragés, sa face douloureuse et tendre, comme le Léonard du musée Brcra ; — soit qu'il dise sa propre misère et ses souffrances passionnées, — ce sont des drames intimes qu'écrit Palestrina. Quelle tragédie plus poignante que le motet : « Peccantem me quotidie! (2) » Elle commence par une tristesse lasse, un remords sombre qui ose à peine parler, épuisé, ploin de honte ; il semble par moments qu'il ne puisse continuer le récit de ses fautes; il reprend cependant avec plus décourage; il s'accuse de son impuissance orgueilleuse à se repentir. Il dit ses terreurs du jour suprême et de la mort toute-puissante. Le ton devient de plus en plus épouvanté et si- nistre en parlant d'enfer et de damnation; des gémissements désolés s'élèvent et retombent sans force. Puis l'âme chrétienne semble s'apaiser dans une pieuse prière d'une ferveur suppliante, et elle finit par un appel de foi pleine d'angoisse, qui veut une

��(1) Tantôt c'est le Christ qui parle directement, tantôt c'est un récit fait par un ami fidèle et pénétré de tristesse. La musique suit les mots avec une grandeur sobre, funèbre, exacte, sans lyrisme; elle dit exactement ce qu'elle veut dire, sans jamais s'abandonner aux effusions que l'on sent près de jaillir de son cœur amoureux.

Voir les Nocturnes de la Semaine sainte : 1. « In monte Oliveti oravit ad Patrem. » 2. « Tristis est anima mea usque ad mortem. » 3. « Ecce vidi- mus eum. » (Jeudi saint.) — 1. « Omncs amici mei derelinquerunt me. i 2. « Vélum templi scissum est. » 3. « Vinca mea electa. » (Vendredi saint.) — 1. « Sicut oves ad occisionem. » 2. « Jérusalem surge. » 3. « Piange quasi virgo, plebs mea» (samedi saint).

On a donné de nombreuses éditions de Palestrina et des maîtres reli- gieux de l'Ecole romaine. La difficulté de notation les rend en général peu pratiques pour les amateurs. M. Charles Bordes, le jeune maître de cha- pelle de Saint-Gervais, qui a déjà rendu de si grands services à l'art par ses admirables auditions des maîtres anciens et son école de musique, pu- blie en ce moment, en notation usuelle, une très intéressante anthologie de Palestrina, Vittoria, Josquin, Roland de Lassus, Gabrieli, Nanini, Corsi , Aichinger, etc. (Anthologie des chanteurs de Saint-Gervais , en livraisons mensuelles.)

(2) « Péchant chaque jour et ne me repentant pas, la crainte de la mort me trouble, parce qu'en enfer il n'y a pas de rédemption. — Ayez pitié de moi, Seigneur, sauvez-moi. » (l 8r fascic. de V Anthologie, l re année, 1893.)

�� �